Michel Bellier - Valet de Louis Napoléon - 1840

Michel Bellier, âgé de 33 ans, valet de chambre, né à Saint-Denis de Gastines (Mayenne), demeurant chez le prince Louis-Napoléon, à Londres.

Michel Bellier n'était à Londres que depuis la fin avril dernier (1840); il avait servi à Paris comme domestique, et il était parti pour l'Angleterre dans l'intention de s'y placer. S'étant présenté chez le prince Louis Bonaparte, le 2 ou 3 mai, il fut attaché à Persigny en qualité de valet de chambre. Ses gages étaient fixés à 900 francs par année.

Louis-Napoléon met au point un nouveau coup de force, avec un débarquement en partance de l’Angleterre, programmé pour l’été 1840. Objectif : soulever la garnison de Boulogne-sur-Mer forte de seulement 250 hommes. Pour s’en rendre maître, le prétendant impérial a recruté une soixantaine d’hommes : des demi-soldes, des domestiques et des émigrés polonais… Mais aussi quelques figures comme le général de Montholon qui se targue d’être celui qui ferma les yeux de l’Empereur Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène. Pour emmener son équipe à destination, un navire à vapeur a été loué dès juillet. Officiellement pour une croisière. Ce débarquement fût un échec, et sa condamnation à la perpétuité est prononcée, le 6 octobre 1840, elle n’émeut pas l’opinion publique qui s’apprête à célébrer en décembre le retour des cendres de l’Empereur.
Suivant Michel Bellier, il aurait reçu l'ordre de s'embarquer qu'une demi-heure avant le départ, le 4 août, et il aurait ignoré complètement le véritable but du voyage, croyant même qu'il s'agissait d'une partie de plaisir, jusqu'au moment où il vit ses camarades endosser l'uniforme du 40éme.
On lui apporta une capote de sergent qu'il revêtit; il s'arma comme les autres. Bellier ajoute qu'à Winereux il débarqua l'un des derniers; à Boulogne, il fût placé à la porte de la caserne pour empêcher le public d'y pénétrer; il accompagna ensuite Louis Bonaparte à la colonne, et se voyant poursuivi, se jeta à la nage et fut arrêté.

(Photo : Débarquement de Louis Bonaparte (Napoléon III) à Boulogne en août 1840)

INTERROGATOIRES DE BELLIER. (Attentat de Boulogne du 6 Aout 1840: Cour des Pairs)

BELLIER (Michel), âgé de 33 ans, valet de chambre, né à Saint-Denis-de-Gastines ( Mayenne), demeurant chez le prince Louis-Napoléon, à Londres.

Ier interrogatoire subi, le 6 août 1840, devant M. Caron de Fromentel, Juge au Tribunal civil de Boulogne-sur-Mer.

D. Vous êtes prévenu d'avoir tenté d'exciter à Boulogne un soulèvement qui avait pour objet de renverser le gouvernement actuel, et la proclamation de Louis-Napoléon comme empereur?
R. J'ignorais entièrement quels étaient les projets du prince Louis-Napoléon.
D. De quelle ville d'Angleterre veniez-vous, et à quelle époque lavez-vous quittée?
R. Je venais de Londres, que j'avais quitté mardi à 9 heures du matin; nous nous y étions embarqués sur un paquebot à vapeur dont j'ignore le nom.
D. Où vous êtes-vous dirigé en quittant Londres?
R. Nous n'avons relâché nulle part.
D. Que vous a dit le prince lorsqu'il s'est agi de partir?
R. Je suis entré au service du prince le 1er mai dernier, en qualité de valet de chambre. Mardi dernier, à 9 heures du matin, le prince m'a appelé dans sa chambre et m'a annoncé qu'il devait faire un petit voyage dans lequel je l'accompagnerais. H ne m'en a pas dit davantage. Je ne lui ai même pas parlé pendant le trajet. Nous sommes débarqués sur la côte vers 4 heures et demie à 5 heures du matin.
Le prince, avant de débarquer, nous a fait remettre des uniformes. J'endossai une capote militaire portant des galons de sergent avec des épaulettes de grenadier en laine rouge. Le prince, remettant ces uniformes, nous dit de le suivre; nousl'avons
suivi et sommes venus à Boulogne le long de la côte. Je débarquai un des derniers. Il y avait à l'endroit du débarquement un poste de plusieurs douaniers qui nous ont suivis. Je ne saurais vous dire si on a employé la force pour les contraindre. Ils nous ont accompagnés presque jusqu'à l'entrée de la ville. Nous sommes entrés en ville au nombre d'environ 30 personnes, précédés d'un lieutenant ou sous-lieutenant dont j'ai oublié le nom, qui portait un drapeau tricolore. J'ignore si sur ce drapeau il y avait une inscription. Nous sommes passés devant un poste qui a pris les armes pour rendre, à ce que je crois, les honneurs militaires à notre détachement, qu'il supposait faire partie du 4o°de ligne. Nous sommes allés à une caserne; je ne sais ce qui s'y est passé, j'étais resté à la porte pour empêcher le public d'entrer. Le prince, après être resté un quart d'heure environ , a quitté la caserne et nous a dit de le suivre. Nous avons quitté la ville et nous sommes dirigés sur la
côte, comptant trouver une barque pour nous rembarquer; poursuivis vivement par la troupe de ligne et la garde nationale qui faisaient feu sur nous, nous nous sommes vus dansla nécessité de nous jeter à l'eau. Je nageai autant que les forces me le permirent. Les barques se sont trouvées très-éloignées de nous; des marins sont venus dans des barques pour nous retirer de l'eau; on nous a conduits, à mesure que nous sortions de l'eau, à la douane; des voitures nous ont pris et conduits à la prison où nous sommes maintenant.
D. Le détachement portant sur les shakos le n° 40, et dont vous faisiez partie, avait-il des fusils chargés?
R. Le mien était chargé avec une cartouche et une balle. J'entendis plusieurs de mes camarades dire : Chargeons nos fusils ; je fis comme eux.
D. Ce chargement de fusils devait vous faire ouvrir les yeux sur le motif qui amenait Louis-Napoléon en France?
R. Je présumais qu'on nous faisait charger nos fusils afin de répondre aux attaques dont nous aurions pu être l'objet en nous présentant sur la côte; j'ignorais alors que nous dussions débarquer.
D. Pourquoi supposiez-vous que votre arrivée devant fa côte eût pu motiver une attaque à main armée?
R.. A dire vrai, je n'étais instruit de rien.
D. Etiez-vous porteur de proclamations?
R. Non. Je crois avoir vu plusieurs personnes de la suite du prince, que je ne reconnaîtrais pas, même si on me les représentait, jeter des proclamations en arrivant à fa caserne.
R. Avez-vous sur vous quelques papiers relatifs au débarquement qui a eu lieu?
R. Non.
D. Quels étaient vos gages chez le prince? D. 900 francs par an.
Visite faite de fa personne du prévenu, il a été trouvé sur lui une somme de 344 francs 80 centimes, en diverses monnaies, dont le détail suit: 25 francs en une pièce de Victoria, 240 francs en pièces de to francs, 70 francs en pièces de 5 francs, 8 francs 75 centimes en sterlings, 40 centimes en une pièce de Victoria et 65 centimes en treize pièces de 5 centimes.


IIème interrogatoire subi, à Paris, par BELLIER, le 22 août 1840, devant M. Boulloche, Juge d'instruction délégué.


D. Depuis combien de temps étiez-vous au service du prince Louis-Napoléon ?
R. Le 26 avril dernier j'ai quitté le comte de Tully, demeurant à fa Monnaie, au service duquel jetais depuis six mois, et je suis parti pour l'Angleterre, sans savoir si je trouverais à me placer. Arrivé à Londres, j'ai su par d'autres domestiques que je pouvais avoir l'espoir d'entrer au service du prince Louis-Napoléon, Je me suis présenté le 1er ou le 2 de mai, et j'ai été accepté en qualité de valet de chambre attaché à la personne de M. le comte de Persigny. Mes gages ont été fixés à 900 francs par année.
D. Pendant les trois mois que vous avez passés dans fa maison du prince, quelle connaissance avez-vous acquise de ses projets?
R. Aucune.
D. Combien de temps avant le 4 août avez-vous su que vous deviez vous embarquer pour la France?
R. Une demi-heure avant, j'ai su qu'on partait pour une partie de plaisir. J'ignorais complètement le but du voyage.
D. Ce qui devait vous faire penser qu'il ne s'agissait pas d'une partie de plaisir, c'est que bien certainement vous aviez vu embarquer des armes et des uniformes.
II. Il se passe bien des choses que les domestiques ne voient pas. Je n'avais rien vu
D. Quel jour, à quelle heure, sur quel bâtiment et avec quelles personnes vous êtes-vous embarqué ?
D. C'est vers huit heures et demie, neuf heures du matin, que M. le comte de Persigny m'a dit de partir avec lui, et nous nous sommes embarqués ensemble. Je n'ai pas connu les autres personnes qui se sont embarquées en même temps que nous.
D. Dans l'interrogatoire que vous avez subi a Boulogne, vous avez déclaré que le prince lui-même vous ayant fait appeler dans son appartement, vous avait annoncé qu'il devait faire un petit voyage, et que vous l'accompagneriez?
R. Cela est possible; je ne nie le rappelle pas. D. Que s'est-il passé dans la traversée?
R. A peine embarqué, j'ai été tellement malade du mal de mer, que je n'ai rien vu de ce qui se passait : cependant, le lendemain dans la soirée, ayant vu tous mes camarades quitter leurs habits bourgeois pour prendre des uniformes, j'ai fait comme eux. On m'a apporté. je ne sais de fa part de qui, une capote de sergent, un pantalon et un shako du 40°; je me suis habillé. Le lendemain matin, à la pointe du jour, ayant vu tous mes camarades charger leurs armes, j'ai aussi chargé mon fusil; je ne savais pas alors où nous nous trouvions. J'ai été débarqué un des derniers, et c'est seulement alors que j'ai su que j'étais sur les côtes de France.
D. On ne saurait admettre une pareille allégation. Avant le débarquement, une allocution vous avait été adressée, des armes et des uniformes vous avaient été donnés, de l'argent et des proclamations vous avaient été distribués ; vous ne pouviez plus alors ignorer le but du voyage, et, en débarquant sur les côtes de France en uniforme et en armes, vous vous rendiez sciemment complice d'un attentat contre votre pays?
R. Je n'ai participé à aucune distribution d'argent ; on ne m'a remis aucune proclamation ; j'ai cependant vu quelques imprimés entre les mains de mes camarades.
D. Une lois à terre, quelle part avez-vous prise aux mouvements?
R. Je me suis mis en rang comme les autres ; nous avons marché sous le commandement d'un grand monsieur, que je ne connais pas, et qui était capitaine. Un sous-lieutenant portait un drapeau tricolore surmonté d'un aigle. Arrivé à la caserne dans laquelle se trouvait le 42e de ligne, j'ai été mis à la porte de la caserne pour empêcher le public de pénétrer. Je n'ai rien vu, ni entendu de ce qui s'est passé dans l'intérieur. Nous sommes allés en ordre du côté de la colonne; presque aussitôt après nous avons été poursuivis par la gendarmerie et la garde nationale. Je me suis jeté à l'eau. Nous allions faire entrer le prince dans une petite barque pour le sauver, lorsque la garde nationale ayant tiré sur nous plusieurs coups de fusil, le prince s'est jeté à l'eau, et ni étant aussitôt débarrassé de ma capote et de tout mon fourniment, je l'ai suivi. Nous étions déjà loin et hors de la portée des balles, et mes forces en partie épuisées, lorsque deux barques sont arrivées. Le prince a
été mis dans l'une, j'ai été mis dans l'autre, sur laquelle se trouvait le comte de Persigny.
D. Qu'avez-vous fait de vos armes ?
R. J'ai jeté mon fusil à 1 eau ; je ne sais pas s'il a été retrouvé. Dans la poche de ma capote étaient un portefeuille et des papiers sur lesquels j inscrivais les dépenses de M. de Persigny. Le même portefeuille renfermait un billet de cinq livres sterling.

(D : Demande - R : Réponse)

Source : Procès de Louis Bonaparte et de ses coaccusés devant la cour des pairs. Attentat contre la sûreté de l'État 1840 - https://gallica.bnf.fr/